Le troc prospère dans l'Argentine en crise
Le peuple argentin, trahi et ruiné par ses dirigeants
politiques, tente de se reprendre en main : occupation
de 200 usines en faillite par leurs anciens ouvriers,
manifestations de chômeurs, barrages spontanés
des routes (piqueteros) et par le système de troc
multiréciproque.
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1. L'expansion des réseaux de troc en Argentine
Le premier "club de trueque" (club de troc) est né
en Argentine en 1995 dans la banlieue sud de Buenos Aires à
l'initiative d'une vingtaine de personnes. Depuis, il a fait des
petits : plus de deux cents réseaux se sont constitués
en un Réseau global de troc "multiréciproque".
Dès 1999, ils touchent plus de 150 000 personnes dans le
pays et des expériences similaires se développent
dans les pays voisins : au Brésil, en Uruguay, en Bolivie,
en Équateur et en Colombie. Le phénomène
connaît un succès inattendu : on estime à
plus de 1 000 000 le nombre de ceux qui pratiquent ce troc dans
les pays d'Amérique latine à partir de cette initiative
venant d'Argentine, en n'hésitant pas à émettre
une monnaie distincte de la monnaie officielle dévalorisée
: les "creditos".
Le Red Global de trueque s'est développé considérablement
en 5 ans dans la province de Buenos Aires : Le réseau global
de troc (Red Global de trueque) propose une nouvelle façon
de construire le bien-être. Heloisa Primcivera estime les
transactions réalisées au sein des clubs équivalentes
à 100 millions de dollars par an. L'impact en termes de
qualité de vie est d'autant plus important en Argentine
que les habitants ne reçoivent ni RMI, ni assurance chômage,
ni allocations familiales. La qualité de l'enseignement
et de la protection sanitaire reste largement insuffisante.
Cela a commencé dans un village, Bernal, à une trentaine
de kilomètres au Sud de la capitale argentine. Inquiétés
par la montée du chômage, l'extension de la pauvreté
et l'absence de préoccupations écologiques dans
leur quartier, un groupe d'écologistes décide de
réunir les voisins chaque samedi après-midi pour
leur apprendre à se débarrasser des ordures, à
mieux utiliser certains espaces de leur maison. Ils les initient
aussi à la production de fruits et légumes à
usage familial.
Les gens s'échangent des plats cuisinés, des vêtements,
de l'artisanat de façon directe et simple. Rapidement leurs
besoins et leurs idées évoluent : un dentiste troque
par exemple ses services contre du pain. Mais comme le nombre
de personnes concernées par ce troc augmente, il devient
nécessaire de comptabiliser les échanges et de des
instrumentaliser. Un genre de chèque bancaire à
validité locale (et plus tard régionale et nationale)
est émis par le club. Les bons portent le nom de "creditos",
terme qui s'inspire d'un principe fondamental du Réseau
global de troc, la confiance : "Les seules conditions que
nous demandons aux membres du Réseau global de troc de
respecter sont : assister aux réunions périodiques
des groupes, s'engager dans les programmes de formation, produire
et consommer des biens, services et savoirs disponibles dans le
Réseau. Nous soutenons que chaque membre est l'unique responsable
de ses actes, produits et services."
D'autres clubs autonomes se forment en se fondant sur la charte
du groupe fondateur, mais en gardant un système de gestion
indépendant. La multiplication des clubs rend impossible
l'émission des "creditos" par un seul d'entre
eux. Il s'ensuit donc une décentralisation de cette fonction,
accompagnés de phénomènes de contrefaçon,
de sur-émission, d'autorégulation...
Clarin,
le plus important journal d´Argentine parle de l'économie
sociale et solidaire : "Le Quartier Nord a maintenant son
propre club de troc" :
www.clarin.com.ar
Après plus de trois ans d'expériences diverses,
les types de crédits se sont multipliés, certaines
activités des clubs sont de nouveau centralisées,
et surtout le Réseau connaît une véritable
"consolidation intérieure". Heloisa Primavera,
professeur à la faculté des sciences économiques
de l'université de Buenos Aires joue un grand rôle
dans l'animation du réseau. Selon elle, cet apprentissage
permet l'ouverture à d'autres acteurs sociaux, en particulier
l'État. Cela a été compris par le Secrétaire
des affaires sociales de la ville de Buenos Aires (où se
concentrent 30 % de la population du pays) qui a établi
depuis fin 1997 un programme d'appui au troc multiréciproque,
et qui légitime implicitement les opérations en
crédits émis par les usagers, explique-t-elle. Le
soutien officiel de la capitale à ce système, autrefois
qualifié de "marché noir", ouvre de nouvelles
perspectives. Peu à peu, le troc est intégré
comme un marché à part entière. Ainsi, le
gouvernement pousse-t-il les entreprises à se former pour
fonctionner sur les deux marchés à la fois. Les
politiques de micro-crédits progressent. Certains maires,
très médiatisés, acceptent même le
troc direct en paiement des retards d'impôts : le mécanicien
peut acquitter sa dette en réparation de voiture. leur
victoire n'est pas seulement d'avoir " réinventé
la vie en réinventant le marché ", comme aime
le dire Heloisa Primavera ; ils ont surtout ouvert un chemin aux
exclus du progrès social et de la croissance économique.
Source http://www.globenet.org/transversales/archives
N°58
BUENOS AIRES, 13 jan 2002 (AFP)
- Étranglés par la crise,
les Argentins tentent de survivre, y compris par des moyens archaïques
comme le troc, devenu un véritable système d'économie
parallèle, bien organisé et qui ne cesse de
s'étendre. "Deux millions d'Argentins sont impliqués
dans le système de troc. C'est un moyen de sortir de l'exclusion",
a expliqué à l'AFP Graciela Draguicevich, coordinatrice
du plus important marché de troc de Buenos-Aires, installé
dans le quartier populaire de Chacarita... Le réseau (Red
de trueque) regroupe un millier de clubs de troc, et la nouvelle
monnaie, les "creditos", commence à s'exporter
dans toute l'Amérique latine !!!
MONTE GRANDE, Argentine (Associated Press - 31/ 05/ 2002 )
En Argentine, le troc de biens et de services n'est plus une nouveauté.
En fait, depuis le début de la crise économique
et politique qui secoue le pays, c'est même devenu une
nécessité. Un Argentin sur cinq n'a plus d'emploi.
Et la moitié des 36 millions d'habitants du grands pays
d'Amérique du Sud sont pauvres. Dans ce contexte, le «trueque»
ou troc est devenu l'affaire de tous, des mécaniciens aux
jeunes professionnels au chômage. Un marché est improvisé
près de Monte Grande, au sud-ouest de Buenos Aires. En
1995, l'Argentine ne comptait qu'un seul club de troc, le Red
de trueque. Aujourd'hui, il y en aurait 8.000. On compte plus
d'un million d'adhérents. On y échange de tout,
et dans les marchés, on ne parle plus de pesos mais bien
de «creditos», ces notes de crédit de la taille
d'un billet de banque qui ont remplacé la monnaie dans
les portefeuilles. Même les mécaniciens, professeurs
de maths et organisateurs d'événements ont repensé
leur tarification en termes de «crédits à
l'heure».
2. L'embarras des économistes
Depuis que la monnaie nationale a été dévaluée,
en janvier, 280.000 personnes perdent leur emploi chaque mois
en Argentine. Selon Eduardo Ovalle, du groupe de réflexion
«Nueva Mayoria», la majorité d'entre eux se
tournent vers le troc. «C'est une réaction à
la hausse du chômage, à la pauvreté et à
la dévaluation de la monnaie», dit-il. A l'en croire,
environ 2,5 millions de personnes sont membres de clubs de trocs.
Et ce nombre pourrait atteindre quatre millions d'ici la fin de
l'année. «Rejoindre les milliers de gens qui vivent
désormais sans argent - ou presque - grâce au troc,
c'est la seule manière qui reste pour subsister en Argentine.
C'est plus commun parmi la classe ouvrière, mais cela s'est
récemment répandu à tous les échelons
de la société et même dans les pays voisins.»
«La valeur totale des biens et services qui sont troqués
plutôt que vendus n'est pas comptabilisée.»
Mais les économistes sont de plus en plus inquiets devant
la montée en puissance d'une économie sans argent.
Car cela les embarrasse, ces riches ! Selon l'économiste
Marshall Goldman, du Collège de Wellesley (Massachusetts),
le troc pourrait avoir des conséquences aussi désastreuses
en Argentine qu'en Russie, il y a dix ans. Avant l'effondrement
de l'économie russe, en 1998, le troc équivalait
à près de la moitié des transactions commerciales,
rappelle Goldman. Or, à cette échelle, l'échange
de biens et de services encouragerait l'évasion fiscale,
l'inefficacité et la corruption. Cela peut aussi avoir
du bon pour tirer le peuple de la misère dans les pays
spoliés. « Le troc est un signe que quelque chose
ne tourne pas rond dans l'économie, mais c'est aussi la
preuve que les gens tentent de s'en sortir et de relancer la production
», explique-t-il.
Alberto Bernal, du groupe new-yorkais IDEA global, est moins optimiste
: « Quand autant de gens se tournent vers le troc, c'est
que le système financier ne fonctionne pas », constate-t-il.
Justement, l'économie est malade à cause du système
financier et monétaire. Pour certains, le troc est une
bonne chose. Pas pour ces économistes qui discutent sans
rien dire de la gargantuesque escroquerie
monétaire en rapport avec l'évolution du système
financier depuis un siècle... ils sont les premiers visés
et défendent leurs privilèges.

3. Sabotage !
En Argentine, avec plus de 6 millions, près du quart de
la population, à s'y abonner et à participer ainsi
à une véritable économie parallèle,
le troc était devenu un moyen de survie face à la
crise économique. Dès l'été 2002,
le système apparait pourtant dépassé par
son succès. Des créditos falsifiés
se répandent dans le pays. Parfaitement imités,
ils ont été acceptés par les Clubs, mais
la confiance, clé du système, fut ébranlée.
L'un des fondateurs du Réseau global de troc solidaire
a dénoncé les pressions des factions d'hommes politiques
pour entraver l'essor du système. On comprend pourquoi
il s'en est suivi une chute brutale de l'activité des réseaux
de troc en Argentine. Ce système de troc multiréciproque,
à la merci de toutes sortes de fraudes, a été
pourri par des gens malhonnêtes. Il est certain que quand
un tel réseau se développe et s'étend à
une trop grande zone, on ne peut plus avoir confiance...

Le Système d'Échange
Local (SEL) que nous connaissons en France est né en
Amérique du Nord dans les années 80 au sein des
communautés hippies. Le premier Local Échange Trade
System (LETS) a été créé au Canada.
Mais depuis, tous les Paysans du monde l'adoptent, de l'Inde au
Japon. Il y a plus de 300 réseaux SEL qui fonctionnent
en France.
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