CRISE SANS PRÉCÉDENT EN ARGENTINE
Jusqu'en 1982, l'Argentine était le pays le plus
prospère d'Amérique du Sud, mais il fut
longtemps sous l'emprise des militaires et le tournant
libéral n'a rien arrangé... Chronologie
d'une crise...
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A l'origine de la crise, il y a le
problème de la dette contractée pendant la dictature
militaire qui débouta la famille Peron et élimina
cruellement la gauche dite "communiste" (1976-1982),
- mais celle-ci s'est aggravée depuis 1982.
I. CRÉDO LIBÉRAL
Avec les élections de 1989, les Argentins reprirent espoir
en votant pour un "peroniste". Mais ils déchantèrent
vite en voyant Carlos Menem appliquer à la lettre le credo
libéral (coupes budgétaires, libéralisation
du secteur public, ouverture totale de l'économie, privatisations),
qui était, selon des propagandistes zélés,
le modèle à suivre (note) car,
en 1882-89, l'Argentine, surendettée, affichait encore
des taux de croissance record. Sa politique monétaire n'a
pas réussi à améliorer la situation, surtout
à cause de la corruption des élites et du modèle
imposé par le système dominant (mondialisation néo-libérale).
La nouvelle monnaie, l'austral, n'a rien amélioré.
Novembre 2001. Craignant une faillite nationale, les investisseurs
étrangers boycottent les emprunts d'État. Suite
à des rumeurs sur une dévaluation du peso, les banques
sont vidées de leurs liquidités. En une journée,
un milliard de dollars sont retirés des comptes d'épargne.
Le ministre de l'économie, M. Domingo Cavallo, lançait
une offensive libérale... Quelques mois plus tard, l'indexation
peso/dollar est suspendue et les avoirs des épargnants
sont gelés. Une fois de plus, c'est le FMI qui a été
appelé à la rescousse : l'Argentine n'a échappé
au naufrage que grâce à une rallonge de $8 milliards.
Comme en décembre 2000, lorsque le Fonds avait débloqué
un prêt de $40 milliards avec l'aide d'autres institutions.
La dette argentine représente désormais près
de 45 % de son PIB ($130 milliards en 2002). Insupportable ! D'autant
que d'ici fin 2002, elle devrait rembourser $25 milliards à
ses bailleurs de fonds... Bref, l'Argentine, dominée par
cette mafiocratie, est en banqueroute totale et les Argentins
perdent 90% de leurs économies. D'ailleurs, les
méfaits du libéralisme ont contribué à
ruiner pareillement le Mexique fin 1994. Et le
Mexique, au milieu de l’année 2007, en subit toujours
les conséquences.
II. LES ARGENTINS DÉSARGENTÉS
En décembre 2001, ce sont les «cacerolazos» qui résonnèrent
dans les rues de Buenos Aires, les manifestants frappant sur des
casseroles pour exprimer leur mécontentement, mais la mobilisation
populaire voudrait provoquer la chute du président, en
Argentine... Que se passe-t-il ? Voici l'incroyable situation
racontée par notre correspondante à Buenos Aires
:
« Il est difficile de raconter ce qui se passe en Argentine, parce
que ce sont des choses absolument inouïes ! »
« En février 2002, il y a eu des rumeurs de coup d´État
militaire. On en parlait à la radio, mais ce ne sont que
des rumeurs. Le gouvernement a interdit alors toute opération
bancaire pour que les Argentins ne retirent pas leurs économies
en dollars américains. Les banques ont été
fermées. Il y a des gens qui se sont suicidés et même brûlés
eux-mêmes devant les portes des banques, désespérés de ne pouvoir
utiliser leur argent confisqué par les banques. Il y a même
eu un personnage de la politique nationale "tristement célèbre"
qui avait dit que la solution pour les problèmes argentins
était que les politiciens «cessent de voler pendant
deux ans» ! Tiens, seulement pendant 2 ans ? et pas ne plus jamais
voler !!! L´assemblée nationale a voté les lois
"ordonnées" par le FMI, c´est-à-dire une nouvelle
loi sur les faillites et une nouvelle loi sur les délits
économiques. Pourtant, le peuple ne reçoit pas un
seul dollar des Américains... ils disent qu'ils n'ont pas
confiance, parce que nos politiciens sont presque tous des escrocs...
Ici, la moitié des gens sont contre le FMI, mais vivre
sans leur aide maintenant est presque vivre comme en Bolivie ou
un pays pauvre de l´Afrique... car les Argentins sont trop
habitués de vivre à la manière européenne,
et cela demande des dollars. Une député a apporté
un drapeau américain pour une session de l´Assemblée
nationale et elle a dit au président de l´Assemblée
de changer le drapeau argentin pour l´américain étant
donné qu´ils sont en train de faire des lois en faveur
des nord-américains... » 
Pendant ce temps, dans la rue, les manifestations contre les plans
d'austérité (sept en deux ans) s'amplifient et tournent
parfois à l'émeute dans certaines régions.
Un tiers des habitants vit déjà au-dessous du seuil
de pauvreté. Une mesure en dit long sur l'état des
finances de ce pays considéré autrefois comme un
eldorado : des bons, baptisés «patacones»,
destinés à payer une partie des pensions des retraités
et des fonctionnaires du service public (qui n'ont pas été
payés depuis deux mois) ont été émis
dans la région de Buenos Aires. Ils seront utilisés
pour payer les impôts et certains services public... »
11 avril 2002.
« Le dollar est descendu à 2,8 $, il était
à 3$ début avril, à 4 $ en mars. »
Les statistiques montrent que plus de la moitié des Argentins
vivent en dessous du seuil de pauvreté par son salaire
et son niveau de vie. Chaque jour, il y a 17.000 nouveaux pauvres
en Argentine... Les Argentins d'origine européenne songent
à revenir vivre en Europe.
11 mai 2002.
Le ministre Lavagna a révélé qu'il abandonne
l'idée d'échange des comptes-dépots en bons
de valeur. Il reconnaît qu'il a eu un forte résistance
des Banques et il dit que cela va coûter très cher
à l'Etat. Aujourd'hui, il cherche une autre voie pour relancer
l'épargne et libérer les comptes à vue, en
confirmant que les banques ouvriront normalement demain.
On prépare un nouveau plan pour sortir
du "corralito". Explication données
par ma correspondante : «Tout l´ensemble des restrictions
d´argent est appelé "le corralito".
"Sortir du corralito", c'est en finir avec les restrictions
d´argent, en quelque sorte. Donc, le gouvernement veut sortir
l'Argentine de sa "prison" parce que maintenant personne
ne peut plus acheter de maison ou de voiture parce que "l´argent
est en cage", notre argent est "dans
le corralito" ! Le gouvernement essayait de nous donner
des "papiers" pour notre argent afin de pouvoir acheter
des voitures et tout cela. Chaque "papier" est une promesse
de nous rendre notre argent, disons dans 10 ans ! Mais ce plan
"papier" n´a pas eu le support à l´assemblée
nationale... échec du ministre Lavagna... »
« Les nouvelles d'Argentine sont un défi à
l´imagination ! » écrit ma correspondante d'Argentine.
«Les gens ont besoin d´échanger, car il n´y
a pas d´argent, ici... Pas un "mango" !»
(pas un sou ! en argot, car 1 mango=1 peso).
III. SYSTÈME D' ÉCHANGE.
Avec la dramatique accélération de la crise économique
qui a entrainé une dévaluation du peso de plus de
70 % et précipité la moitié des 36 millions
d'Argentins dans l'indigence, près de 5 000 réseaux
de troc ont vu le jour dans le pays. Le phénomène
a gagné les quartiers chics de la capitale, comme La Recoleta,
touchés eux aussi de plein fouet par la crise. Pour tous
les Argentins, dans un pays littéralement ruiné
où les gens ne paient plus d'impôt et où les
services publics ne fonctionnent quasiment plus, le
troc redynamise l'économie formelle plutôt qu'il
ne la concurrence. Pour éviter que les échanges
soient seulement bilatéraux (un produit contre un autre
de même valeur), et afin qu'ils s'étendent à
tout un quartier et qu'ils concernent aussi les services, les
réseaux ont créé une véritable monnaie
parallèle : les "creditos" qui permettent de
faire ses courses, et même de consulter un médecin,
un psychologue, un avocat, ou de se faire couper les cheveux...
le
troc en Argentine.
IV. Plus de démocratie
Le CELS, Centre d'études légales et sociales, affilié
à la commission internationale des juristes (Genève)
et à la Ligue internationales pour les droits humains (New-York),
tente d'agir pour la promotion des droits humains et le renforcement
de l'État de droit. Cette ONG argentine réclame
plus de démocratie : « Dans la profonde crise institutionnelle
et sociale que vit l'Argentine et dans cette étape de transition,
le renforcement des institutions démocratiques et le respect
des garanties données par la Constitution nationale sont
les priorités. Le CELS exige l'annulation des mesures d'exception
adoptées par le gouvernement ainsi que le total rétablissement
des garanties pour tous les citoyens. Le CELS considère
comme incontournable la suppression des normes ou lois inconstitutionnelles
dictées par le gouvernement sortant, autant les interdictions
bancaires que la loi de déficit zéro et ses normes
réglementaires, ceux-ci impliquant des réductions
de salaire, de retraites et de plans sociaux. Il est évident
que la faille ouverte dans la légalité occasionnée
par ces normes est en relation directe avec le mécontentement
social qui accentue la crise. Aucune mesure économique
n'est viable si elle n'est pas soutenue en termes sociaux.»
V. LA SPIRALE DE LA DETTE
Ce pays longtemps le plus riche d'Amérique latine est
vite devenu très pauvre.
Octobre 2002, la dette extérieure atteint $170 milliards.
La corruption des élus et le néolibéralisme
ont engendré un génocide social sans précédent.
La spirale de la dette touche toute l'Amérique latine et
les Caraïbes. Pour ironiser, de l'effet "tequila"
de décembre 1994, on est passé à l'effet
"tango", et nous voilà bientôt à
l'effet "samba", car le Brésil en est au même
point... D'ailleurs, avec les événements récents
au Venezuela, on voit que toute l'Amérique latine s'enfonce
dans la crise.
Retrouvez une sélection de textes publiés par «
Le Monde Diplomatique » :
Crise totale en Argentine
Tango de cauchemar en Argentine, ainsi qu'un
dossier spécial Argentine.
Élections présidentielles (mai 2003) :
Les Argentins n'attendent plus rien des leaders politiques. Ils
aimeraient bien pouvoir revenir en Europe...
Depuis la fin de 2001 et la gigantesque crise du peso, le peuple
argentin, trahi et ruiné par ses élites, tente de
se reprendre en main. Aux grands maux les grands remèdes.
Systèmes de troc, manifestations
de chômeurs, barrages spontanés des routes (les fameux
piqueteros) : ces expédients ont pour point commun une
défiance radicale envers toute forme de pouvoir. L'action
la plus spectaculaire demeure l'occupation de 200 usines en faillite
par leurs anciens ouvriers, qui tentent de recouvrer leurs moyens
de production.
Cette alternative est-elle destinée à durer ? -
Lire : Argentine,
résister et produire
Dernières
nouvelles en ligne :
Novembre 2012 : L'Argentine n'est toujours pas sortie du problème
de sa dette. L'Argentine,
sa dette et les fonds vautours : un répit temporaire
Chronologie d'une crise :
1943 - Coup d'Etat militaire renversant le président
élu démocratiquement.
De cette junte d'officiers se dégage le colonel
J.D. Peron qui devient président de la République
en 1946, avec sa femme Eva.
1955 - Péron est écarté du pouvoir
par une junte militaire et dès lors, l'Argentine
est en état de crise permanente.
1973 - Retour de Perón mais celui-ci meurt en 1974
et c'est sa femme Isabel qui accède au pouvoir.
1976 - Elle est renversée par une junte militaire,
et le général Vileda accède au pouvoir.
Entre 1976 et 1983, les militaires ont fait disparaître
30 000 de leurs concitoyens, en ont fusillé 15000,
emprisonné 9000, exilé 1,5 million (sur
un total de 30 millions d'habitants). Ce sont deux généraux
qui succèdent à Vileda en 1981 : Viola et
Galtieri. En 1994, une politique de réparation
financière des victimes de la répression
accorde des compensations aux ayants droit des disparus.
1982 - Guerre des Malouines. Défaite cuisante.
Cette dictature a donc duré 7 ans.
1983 - Retour à la démocratie représentative.
Mais une fois élu, R. Alfonsin doit faire face
à de graves problèmes économiques
(inflation galopante) et sociaux, et en appelle au FMI.
Les généraux, discrédités
par la défaite aux Malouines, obtiennent l'absolution
par la loi du «Point final» en 1986, puis
ce sera la reconnaissance de «l'obéissance
due» en 1987, loi pour déresponsabiliser
les militaires des forces de sécurité de
rang inférieur.
1989 - Carlos Menem est élu sous la bannière
peroniste, mais il enfonce le pays dans la crise en appliquant
le credo libéral. Un désastre !
1999 - De La Rua, le nouvel élu, ne fait pas mieux.
2001 - On arrive à une banqueroute totale : à
cette date, la dette de 132 milliards de dollars ne peut
plus être honorée (elle atteint 150 % du
PIB)
Après le fiasco des militaires, dirigée
par une classe politique corrompue, l'Argentine s'est
donc enfoncée dans une grave crise économique.
La dette publique atteignait $150 milliards début
2003...Sans issue ! Retour
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Note. Déjà,
en décembre 1994, le Mexique, lui aussi considéré
meilleur élève du FMI, se retrouvait totalement
ruiné. Retour
Le "patacon"
est un papier créé par la Province de Buenos Aires
(la capitale) mais on l´utilise aussi comme de l´argent,
c´est une sorte d´argent créé par
les provinces pour payer leurs dettes. Le FMI est contre le
patacon et contre les 35 "papiers" (ou plus) de chaque
provence car c'est un moyen de "faire" de l'argent....
Mais lorque qu´on "fabrique" de l'argent en
même temps on "fabrique" de l'inflation....
L´éternel retour de la malédiction argentine...
ici, en Argentine, il faut vivre chaque jour comme s´il
était le dernier, et surtout ne pas trop planifier, car
les plans et les rêves sont toujours conditionnés
au budget du gouvernement, et "le plus froid des monstres
froids" Nietzsche),
c'est le pouvoir de l'Etat .
Le "corralito"
est le mot utilisé pour décrire le coffre-fort
où l´argent est bloqué depuis Décembre
2001. A cette époque-là, le ministre de l´économie
(celui qui est en prison) a décidé qu'on ne pouvait
pas sortir d´argent de la banque, ou seulement $200 par
semaine.
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