DÉMANTÈLEMENT DU CODE DU TRAVAIL
La réforme par ordonnances du code du travail, pour laquelle
l'exécutif a été habilité par les
députés "en marche" début août,
va frapper dur !
Une intersyndicale CGT-FO-Solidaires-UNEF-FSU a d'ores et déjà
appelé à une journée de mobilisation "contre
le démantèlement du code du travail" le 12
septembre.
Avant-projet de loi devant permettre au gouvernement de prendre
par ordonnance des mesures pour l'emploi. Au 12 mai 2017, l'«avant-projet
de loi habilitant le gouvernement à prendre, par ordonnances,
des mesures pour l'emploi» que nous nous sommes procuré,
prévoit dans son article 1er neuf ordonnances. A l'abri
des regards, huit réformes d'envergure sont en préparation.
Nous les détaillons ci-dessous, la neuvième ordonnance
est purement technique, afin de transposer ces mesures dans certaines
collectivités d'outre-mer.
Principale mise en garde, même si elle est notée
en tout petit et en bas de page : le nombre des ordonnances est
«à ajuster selon les options retenues». Car
tous les thèmes énumérés dans le «premier
brouillon de cet avant-projet [...] ne doivent pas forcément
donner lieu à ordonnances». Il ne serait «ni
possible ni souhaitable» d'adopter toutes ces réformes
par ordonnances, précise même le document. Ainsi,
certaines réformes y sont indiquées comme «prioritaires»
tandis que d'autres, rédigées en italique, «apparaissent
comme moins prioritaires».
Ordonnance n°1 : négociation à la carte dans
les entreprises
Ce que dit le texte.
«Attribuer une place centrale […] à la négociation
collective d’entreprise en élargissant ses champs
de compétence».
Cette ordonnance est jugée prioritaire sur le contrat de
travail, pas sur les autres points.
L'enjeu
Contrat de travail, durée de travail, santé et
sécurité, salaires et emploi... seront désormais
au menu des négociations en entreprises selon l'avant-projet
de loi. La liste des sujets est très longue, et couvre
des thèmes pour lesquels la loi prévoyait jusqu'ici
qu'il était impossible de déroger par accord d'entreprise.
La loi El Khomri avait ouvert une première brèche
sur l'organisation du temps de travail, renvoyant à la
négociation d'entreprise par exemple les heures supplémentaires
: un accord d'entreprise ou de branche peut prévoir une
majoration limitée à 10 %, la règle des 25
et 50 % n'étant que supplétive, c'est-à-dire
qu'elle s'applique seulement quand il n'y a pas d'accord d entreprise.
Ordonnance n° 2 : le barème des prud'hommes
Ce que dit le texte.
«Instaurer un référentiel pour le montant
de l’indemnité octroyée par le conseil des
prud’hommes en cas de licenciement dépourvu de cause
réelle et sérieuse.»
Cette ordonnance est jugée......«prioritaire»
L'enjeu
Pour la troisième fois, Emmanuel Macron essaie de faire
adopter cette disposition réclamée par les employeurs.
Dans le collimateur : la durée des contentieux et surtout
le montant, souvent très élevé, des condamnations
qui, selon le Medef, les dissuade d'embaucher en CDI. Pour «sécuriser»
les entreprises, le texte prévoit en cas de condamnation
d'un employeur pour licenciement abusif, d'instaurer «un
plafond et un plancher» pour graver dans le marbre le montant
des dommages et intérêts versés au salarié.
Initialement prévue dans la loi Macron de 2015, cette réforme
a été retoquée par le Conseil constitutionnel.
Avec quelques modifications de forme, elle a été
glissée en 2016 dans la loi El Khomri, puis retirée
face à la mobilisation. Elle refait son apparition, sans
que l'essentiel soit précisé, à savoir les
montants d'indemnisation. Selon une étude du ministère
de la Justice, les indemnités atteignent dix mois de salaire
en moyenne, soit 24 000 €. Les syndicats rejettent la barémisation
obligatoire et dénoncent la mise sur la touche des juges
prud'homaux. Rude bataille annoncée.
Ordonnance n° 3 : référendum à l'initiative
de l'employeur
Ce que dit le texte. «Renforcer la capacité à
adopter un accord d’entreprise .»
Cette ordonnance est jugée...«moins prioritaire»
L'enjeu
Pour généraliser les accords dérogatoires
d'entreprise portant sur les nouveaux champs désormais
ouverts, il faut faciliter leur adoption. La loi El Khomri avait
mis en place le référendum, permettant, quand un
accord est refusé par les syndicats majoritaires (représentant
au moins 50 % des salariés), de le faire adopter par référendum
auprès des salariés. Aujourd'hui, ce recours possible
au référendum est réservé uniquement
aux syndicats (à condition qu'ils représentent au
moins 30 % des salariés).
Le gouvernement veut ouvrir cette possibilité également
aux employeurs, dans des conditions qui restent à préciser.
Pourront-ils le déclencher s'il n'y a pas de syndicats,
ou s'il y a seulement des élus sans étiquette ?
Les syndicats y avaient mis leur veto en 2016, craignant que l'employeur
ne soit tenté d'exercer des pressions sur les salariés.
Ordonnance n° 4 : redéfinir la place des branches
Ce que dit le texte.
«Redéfinir le rôle de l’accord de branche
et réduire le nombre de branches.»
Cette mesure est spécifiée... «moins prioritaire»
L'enjeu
C'est le Graal de la réforme du Code du travail voulue
par Macron : pour être au plus près des besoins des
employeurs, de la PME à la multinationale, la «primauté
sera donnée aux accords d'entreprise sur les accords de
branche», lit-on dans l'exposé des motifs de l'avant-projet
de loi. Et de préciser : «C'est seulement à
défaut d'accord d'entreprise que la branche interviendra.»
Reste à savoir quel sera le rôle de la branche. Continuer
à construire des normes sociales ou servir de voiture-balai
? Actuellement, il y a six thèmes de négociations
obligatoires dans la branche sur lesquels les employeurs ne peuvent
pas déroger dans un sens moins favorable aux salariés,
par accord d'entreprise : égalité hommes-femmes,
pénibilité, salaires, classifications, prévoyance
et formation professionnelle.
Selon l'avant-projet de loi, la branche n'aurait plus dans sa
mallette que deux thèmes obligatoires (salaires minimums
et l'égalité professionnelle). Les quatre autres
sujets ne sont pas mentionnés et plusieurs pourraient être
transférés vers la négociation d'entreprise.
Le fait que, sans accord d'entreprise, la loi (dite supplétive)
s'appliquera dans de nombreux cas risque de rendre inutile toute
négociation au niveau de la branche. Ce qui serait un camouflet
pour FO, très attaché à cette instance de
régulation.
Ordonnance n°5 : fusion des IRP
Ce que dit le texte. «Simplifier les institutions représentatives
du personnel (IRP)».
Cette ordonnance est jugée...«prioritaire»
L'enjeu
lors que la loi Rebsamen (2015) commence à peine à
s'appliquer, le gouvernement remet sur la table l'épineux
dossier des instances de l'entreprise. L'objectif : fusionner
le comité d'entreprise, le comité d'hygiène,
de sécurité et des conditions de travail (CHSCT)
et le délégué du personnel (DP) dans une
instance unique. «Sauf avis contraire des entreprises concernées»,
précise toutefois le texte, si bien que certaines entreprises
pourraient continuer à fonctionner selon l'ancienne formule.
Plusieurs possibilités ont déjà été
introduites en 2015 : pour les entreprises de moins de 300 salariés,
l'employeur peut mettre en place une délégation
unique du personnel regroupant le comité d'entreprise et
la délégation du personnel ; et dans les entreprises
de plus de 300 salariés via un accord d'entreprise. Plusieurs
questions se posent : est-ce la remise en cause du rôle
du CHSCT, qui, aujourd'hui, a une personnalité juridique
lui permettant d'aller en justice, de faire des enquêtes
ou de diligenter des expertises ? Les inquiétudes portent
aussi sur la baisse du nombre d'élus induite par une telle
réforme, qui pénaliserait surtout la CFDT, très
implantée dans le secteur privé. Par ailleurs, le
gouvernement pourrait autoriser cette instance unique à
négocier les accords.
Une rupture avec notre modèle de démocratie sociale
dans l'entreprise, qui repose aujourd'hui d'un côté
sur des élus disposant de droits d'information, de consultation,
d'expertise et d'alerte, et de l'autre sur des syndicats (représentatifs)
qui seuls ont la capacité de négocier. Depuis de
longues années, le Medef a demandé d'autoriser la
négociation avec des élus sans étiquette.
Ce qui serait un casus belli pour les syndicats.
Ordonnance n° 6 : un chèque syndical
Ce que dit le texte. «Renforcer la pratique et les moyens
du dialogue social.»
Cette mesure est jugée...«prioritaire»
L'enjeu
En contrepartie de l'ordonnance n°5 prévoyant une
fusion des instances du personnel, l'avant-projet de loi donne
du grain à moudre aux syndicats. Ainsi, la formation des
représentants de salariés sera «renforcée».
Dans ce deal, il est aussi prévu de mettre en place le
fameux chèque syndical promis par Emmanuel Macron dans
son livre-programme «Révolution», une idée
inspirée de l'expérience menée chez l'assureur
Axa. Selon l'avant-projet de loi, il s'agit de «permettre
à chaque salarié d'apporter des ressources financées
par l'employeur au syndicat de son choix». Enfin, le gouvernement
s'engage à récompenser l'engagement syndical par
la «reconnaissance dans les carrières» et la
lutte contre la discrimination syndicale.
Ordonnance n° 7 : Les administrateurs salariés
Ce que dit le texte.
«Une meilleure représentation des salariés
dans les conseils d’administration».
Ce point est jugé...«moins prioritaire»
L'enjeu
En la matière, la France a un temps de retard sur les
pays de l'Europe du Nord. Là-bas, les administrateurs salariés
siègent de droit dans les entreprises d'une certaine taille.
C'est un point réclamé par la CFDT et la CGT depuis
très longtemps. Mais, selon l'avant-projet de loi, le gouvernement
compte y aller sur la pointe des pieds. Il s'agit de «mettre
en place des incitations» pour que les entreprises augmentent
le nombre d'administrateurs salariés par des accords de
groupe ou d'entreprise. Parmi les options, il pourrait aussi baisser
le seuil autorisant la présence d'administrateurs salariés
dans les entreprises (aujourd'hui fixé à 1 000 salariés,
il pourrait passer à 500). Mais il y a beaucoup d'obstacles,
notamment le statut juridique des entreprises. S'il s'agit d'une
SAS (société par actions simplifiée), la
règle veut qu'elle n'est pas obligée d'avoir un
conseil d'administration et donc pas d'administrateur salarié.
Ordonnance n° 8 : réforme de l'assurance chômage
«Réformer l’indemnisation des travailleurs
privés d’emploi.»
Cette ordonnance n’est...«pas prioritaire»
L'enjeu
C'est l'une des grosses surprises de cet avant-projet de loi
: la réforme du système d'assurance chômage
et surtout son étatisation sont inscrites au menu des ordonnances.
«Il faut arrêter de prétendre que les partenaires
sociaux pourraient être seuls en charge de la gestion des
grands risques, à commencer par l'assurance chômage»,
lit-on dans l'exposé des motifs. Et d'ajouter : «L'Etat
doit reprendre la main.» Une révolution annoncée
que le gouvernement justifie par la création d'une assurance
chômage universelle «ouverte à tous les actifs
— salariés, artisans, commerçants indépendants,
entrepreneurs, professions libérales, agriculteurs»,
précise le texte, et qui sera «financée par
l'impôt». L'extension de ces nouveaux droits —
et notamment l'indemnisation chômage pour les démissionnaires
— aura un coût très important, toujours pas
chiffré. De quoi craindre une révision à
la baisse des conditions d'indemnisation. Le dossier est explosif,
ce qui pourrait obliger le gouvernement à prendre plus
de temps. La CFDT et la CGT ont demandé à Macron
que cela ne fasse pas partie des ordonnances.
Le calendrier
Le président Macron l'a dit, il veut aller vite. Selon
nos informations, et selon un document que s'est procuré
Mediapart, le calendrier pourrait être le suivant :
. 14 juin. Transmission au Conseil d'Etat du projet de loi d'habilitation,
première étape du processus parlementaire.
. 28 juin. Examen du projet de loi en Conseil des ministres, dix
jours seulement après le deuxième tour des législatives.
Entre le 24 et le 28 juillet. Mise au vote du projet de loi d'habilitation
devant le Parlement, réuni en session extraordinaire.
. 28 août. A cette date au plus tard, les ordonnances rédigées
par le gouvernement doivent être envoyées au Conseil
d'Etat.
. 20 septembre. Adoption des ordonnances en Conseil des ministres.
À l'automne au plus tard. Pour chacune des ordonnances,
un projet de loi de ratification sera déposé devant
le Parlement dans un délai de trois mois (ou deux ou six
mois) à compter de sa publication.
( Le Parisien )
Nous dévoilons dans l'édition du Parisien/Aujourd'hui
en France de ce lundi 5 juin l’avant-projet de loi devant
permettre au gouvernement de prendre par ordonnances des mesures
pour l’emploi. Ce document confidentiel, préparé
à l’abri des regards, comporte huit réformes
d’envergure qui s’insèrent dans «un mouvement
d’ensemble de fléxi-sécurité».
C’est un test. Le premier du quinquennat qui intronisera
Emmanuel Macron comme réformateur européen... ou
pas. Bruxelles regarde de très près ce pays - la
France - «impossible à réformer». Dans
ses «recommandations pays par pays», publiées
le 22 mai, la Commission européenne a confirmé qu’elle
attendait avec impatience la future réforme du Code du
travail.
Pour l’instant, tout se passe bien avec les partenaires
sociaux, reçus depuis le 23 mai par le président
de la République, puis le Premier ministre, Edouard Philippe,
et la ministre du Travail, Muriel Pénicaud. La trame des
discussions était connue : l’élargissement
du champ des accords d’entreprise, le plafonnement des indemnités
prud’hommales et la fusion des instances représentatives
du personnel. En tout et pour tout, trois réformes annoncées.
Des points jamais évoqués figurent dans un document
de travail de 10 pages
Mais selon l’«avant-projet de loi habilitant le gouvernement
à prendre, par ordonnances, des mesures pour l’emploi»
que nous nous sommes procuré et que nous dévoilons
dans les colonnes du Parisien/Aujourd'hui en France ce lundi 5
juin, tout n’a pas encore été mis officiellement
sur la table. Loin s’en faut, car certains thèmes
figurant dans ce document - une version de travail de 10 pages
et datée du 12 mai 2017 - vont bien au-delà des
éléments annoncés par Emmanuel Macron jusqu’à
présent.
En effet, neuf ordonnances y sont listées, dont certaines
portent sur des points jamais évoqués. Lesquels
? Par exemple, le contrat de travail, la durée du travail,
la santé ou la sécurité des salariés...
pourront être négociés au sein de l’entreprise.
Des éléments qui d’ailleurs ne figureront
pas forcément dans le document d’orientation que
les syndicats et le patronat doivent recevoir dans le courant
de cette semaine.
Mener une «révolution copernicienne»
L’essentiel de ce qui leur sera envoyé, puisé
dans l’exposé des motifs de l’avant-projet
de loi, reprend sous trois priorités les discours d’Emmanuel
Macron pendant la campagne et des textes du site En Marche ! Comment
tordre le cou au chômage de masse qui frappe la France depuis
trente ans et enclencher «une évolution radicale
du modèle» ? Comment mener une «révolution
copernicienne» des relations sociales pour créer
une «République contractuelle» ?
L’objectif principal est de «faciliter la création
d’emplois grâce à une meilleure fluidité
du marché du travail.» Pour y parvenir, le gouvernement
fait le «choix résolu du dialogue social de terrain,
là où il produit des accords et des solutions économiquement
et socialement efficaces».
Si «cet agenda de réforme ne peut être mené
en cent jours», précise l’avant-projet de loi
d’habilitation, «les premiers déclics de confiance
doivent être donnés rapidement». A condition
que les syndicats ne déclenchent immédiatement pas
les hostilités...
Ordonnances, mode d'emploi
L'article 38 de la Constitution de 1958 prévoit que «le
gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander
au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant
un délai limité, des mesures qui sont normalement
du domaine de la loi».
Tous les présidents de la Ve République ont eu recours
aux ordonnances. Plus de 136 fois pour Nicolas Sarkozy. Emmanuel
Macron, qui veut aller vite sur la réforme du Code du travail,
va donc recourir à cette procédure. Son gouvernement
soumettra d'abord au vote des deux Assemblées un projet
de loi dit «d'habilitation» demandant à pouvoir
légiférer par ordonnances sur des domaines précis
et un calendrier précis (normalement trois mois). Il lui
faut donc impérativement une majorité au Parlement.
Le texte voté, le gouvernement doit entamer les discussions
avec les partenaires sociaux, sauf à invoquer un «cas
d'urgence avérée» (loi Larcher de 2007 sur
la modernisation du dialogue social). Une fois rédigées,
les ordonnances seront soumises au Conseil des ministres après
avis du Conseil d'Etat, puis signées par le président
de la République. Au terme du délai prévu,
une loi de «ratification» comprenant toutes les ordonnances
sera soumise aux députés et sénateurs pour
qu'ils les valident. S'ils rejettent une ou plusieurs ordonnances,
celles-ci s'appliqueront tout de même mais n'auront pas
force de loi et pourront être contestées devant le
Conseil d'Etat.
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