Qu'est-ce qu'un mythe ?
Ce terme
ne désigne pas n'importe quel récit fabuleux, mais un récit
tenu pour vrai, dans un système de croyances déterminées, en
apparence opposé au discours rationnel. Le mythe apparaît comme
l'expression d'une pensée symbolique, en relation avec la totalité
du psychisme humain, l'histoire et les préoccupations communes
des hommes : "tout l'humain est engagé dans le mythe" (G. Bachelard).
A l'origine,
les mythe et légendes étaient des récits
qui devaient absolument être transmis, sans doute parce
qu'ils contenaient un savoir ou une vérité ; à
travers les mythes, les initiés, comme Platon, étaient
porteurs de vérités à transmettre, mais,
après Homère, on utilisa le mot "mythe"
dans le sens de fable, (il y a plusieurs versions, et certains
récits sont altérés). Pourtant,
ils peuvent relater des faits antérieurs aux civilisations
connues, et c'est par les sources traditionnelles et culturelles
que nous avons l'écho d'un lointain passé. Ils
sont comme la mémoire des temps préhistoriques.
Mais il semble qu'ils servaient aussi à donner des réponses
toutes faites à toutes sortes de questions, et des explications
à des choses très diverses, et surtout des indications
morales...
Le mythe
est essentiellement un récit que les gens sentent dans un rapport
régulier ou régulateur avec un aspect positif ou négatif
de la vie. Le mythe du héros est le plus répandu,
et représente l'individu qui s'efforce de découvrir
ses pouvoirs qui sont en lui et d'affirmer sa personnalité.
Quelques exemples de mythes :
- La légende de Jason et des argonautes, sur le pouvoir
et les épreuves pour l'atteindre.
- Le mythe d'Œdipe, dont Cl. Lévi-Strauss
lui-même donne une remarquable analyse. Œdipe tua son père
et devint l'amant de sa mère. La nécessité
guide le héros qui souffre en accomplissant son destin
tragique.
- Le mythe de Pandore. La première femme créé
par Héphaïstos, était pourvue de tous les
dons, et fut envoyée aux humains munie d'un vase contenant
tous les bienfaits et tous les fléaux leur étant
destinés. Ils se répandirent sur Terre, tandis
que resta au fond de la boite à Pandore un piètre
bienfait : l'espérance... (sait-on que la religion est
la boite à Pandore ?)
- Le mythe de l'Atlantide. Lorsqu'il veut évoquer le
lointain passé de l'homme et de la sotiété,
Platon a recours à un récit édifiant qui
s'appuie sur des faits réels, dans le Timée
et dans le Critias, en reprenant la relation faite par
un hiérophante que Solon lui a rapporté en revenant
d'Egypte, pays aux traditions millénaires.
- Mythe amérindien sur l'origine des femmes : "Les hommes vivaient
sans femmes. Un jour, on leur vola de la nourriture. Les hommes
chargèrent un oiseau de surveiller leurs provisions. L'oiseau
vit des femmes qui descendaient du ciel le long d'une corde.
De son bec, il coupa la corde. Les femmes, ne pouvant remonter,
restèrent avec les hommes." (ibid.)
- un mythe actuel : le mythe des soucoupes volantes (sujet traité
par C. G. Jung dans Un Mythe Moderne).
1. Les constantes de la pensée mythique
- les mythes entretiennent les uns avec les autres, à l'intérieur
d'une même culture, ou d'une culture à une autre, des relations
complexes (correspondances, filiations, parallélismes, convergences,
etc.); ils se ressemblent et paraissent s'appeler et se répondre
les uns aux autres, mais correspondent à des conditions d'élaboration
très variables (sans quoi, comment comprendre la variété des
différentes versions d'un même mythe ?): équilibre ici trouvé
entre l'identité propre à la nature humaine et sa diversité.
- ils révèlent des préoccupations communes : recherche du sens
de l'existence, souci d'expliquer la création du monde (cosmogonies),
les origines de la vie ou de l'humanité, désirs d'amour, de
gloire, de puissance, de protection, angoisses des hommes devant
une nature hostile, la maladie, la souffrance, la mort et un
au-delà de la mort, la fuite hors du monde ou hors du temps,
la communion avec le divin, etc.
- ils manifestent l'attrait des hommes pour le surnaturel, le
merveilleux, en relation avec des questions d'ordre technique
ou socio-politique; ils charment, séduisent, font plaisir à
ceux qui l'entendent.
- constitués par projection des contraintes économiques, des
structures politiques, des règles de la parenté, des usages
sociaux, etc., ils ont une finalité : justification et codification
des institutions politiques ou religieuses, des rites, des tabous,
des interdits moraux ou sociaux; constitution d'une mémoire
collective des généalogies et des événements marquants, etc.
- ils connaissent une évolution de leur contenu symbolique.
2. L'interprétation du mythe
Différentes perspectives peuvent être retenues :
- la tradition philosophique faisait du mythe une fable discursive
véhiculant une signification obscure que la réflexion serait
impuissante à produire. Chez Platon, le mythe supplée à la dialectique
défaillante, comme intermédiaire entre les paroles profane et
sacrée. On s'est toujours demandé si ce philosophe avait
inventé le mythe de l'Atlantide pour faire passer ses
idées ou si cela concernait vraiment un continent disparu
il y a 10 000 ans.
La position
du philosophe à l'égard du mythe est révolutionnaire,
car elle fait table rase de tout le passé, de tout ce
que la tradition transmettait de valeurs et même de savoir,
par l'intermédiaire des poètes et à travers
les mythes.
C'est en
effet Platon qui fixe une fois pour toutes le sens, propre et
figuré, du terme muthos qui, avant lui, présentait
une signification beaucoup plus générale, celle
de «pensée qui s'exprime», «avis».
Lorsqu'il utilise le terme muthos dans un sens propre,
Platon fait deux choses : il décrit et il critique.
Du point
de vue de l'ethnologue, le mythe apparaît comme un message
par l'intermédiaire duquel une collectivité transmet
de génération en génération ce qu'elle
garde en mémoire de ce qu'elle considère comme
son passé, dont le point de départ se confond
avec l'origine des dieux et qui a pour limite inférieure
une époque assez éloignée pour que le narrateur
se trouve dans l'impossibilité de vérifier la
validité du discours qu'il tient, soit qu'il ait été
témoin des événements qu'il rapporte, soit
qu'il fonde ses dires sur ce que lui a rapporté quelqu'un
qui en a été le témoin.
Par rapport
au logos (raison, parole), ce discours qu'est le muthos
présente deux points faibles : c'est un récit,
et ce récit n'est pas susceptible de vérification.
Un récit rapporte des événements comme
ils sont censés s'être produits, sans proposer
d'explication; aussi l'enchaînement de ses parties est-il
contingent au premier abord à tout le moins. En revanche,
le discours argumentatif suit un ordre rationnel quelle que
soit la définition de la raison retenue. L'enchaînement
de ses parties se fait sur le modèle de la déduction
en mathématiques, en fonction de règles qui ont
pour but de rendre nécessaire ses conclusions. Par ailleurs,
alors que le logos peut être déclaré
vrai ou faux, d'un point de vue référentiel, le
muthos se situe au-delà du vrai et du faux, car les événements
qu'il rapporte ne peuvent être appréhendés
ni par la raison ni par les sens; ils se situent dans un temps
et dans un espace trop éloignés. Par conséquent,
lorsqu'il utilise le terme dans son sens figuré, Platon
veut désigner un discours qui prend habituellement la
forme d'un récit et qui surtout se situe en deçà
du vrai ou du faux.
Aucun philosophe
ne fut aussi radical que Platon, qui condamna les mythes traditionnels
sans appel, en refusant tout recours à l'interprétation
allégorique. Paradoxalement toutefois, la pensée
philosophique de Platon pousse ses racines dans les mythes,
même si ces mythes ne sont pas les mythes traditionnels.
La doctrine des formes trouve son fondement dans la réminiscence
qui, dans le Ménon, est explicitement rattachée
à une croyance religieuse. Tout le domaine de l'âme
relève du mythe, et amène Platon à fabriquer
de nouveaux mythes eschatologiques, à la fin du Gorgias
et de La République dans le Phèdre et les Lois.
Tout compte fait, lorsqu'il veut parler de l'âme et de
l'Univers, Platon n'a pas le choix, il lui faut raconter un
mythe, et surtout il est conscient de le faire.
Ne partageant
pas la sévérité de Platon à l'égard
des mythes traditionnels, la plupart des philosophes et des
histonens tentèrent de sauver ces mythes en retrouvant
sous leur sens littéral, qui pouvait choquer sur un plan
moral ou paraître ridicule sur un plan scientifique, un
sens profond conforme aux doctrines les plus récentes
dans le domaine de la morale, de la psychologie et même
de la physique. Très généralement, il s'agissait
de traduire en termes philosophiques les éléments
mythiques les plus importants ou les plus insolites. Ce type
d'exégèse reçut plusieurs dénominations
au cours des siècles, dont celle d'«allégorie»,
que des considérations d'ordre exclusivement pratique
amènent à retenir, lorsqu'une trop grande précision
n'est pas obligatoire.
Ayant pris
son essor au VIe av. J. -C., l'interprétation
des mythes, largement pratiquée à l'époque
de Platon et d'Aristote, connut son plein épanouissement
avec les stoïciens qui pratiquaient non seulement une interprétation
morale, associant les divinités à des vertus,
une inteterprétation psychologique, associant les divinités
à des facultés, et une interprétation physique,
associant les divinités aux éléments ou
à des phénomènes naturels, mais aussi une
interprétation historique, inspirée d'Evhémère,
pour qui les divinités et les héros correspondaient
à des êtres humains divinisés en raison
d'importants services rendus au genre humain.
L'attitude
des stoïciens à l'égard des mythes fut contestée
par les épicuriens et par ceux qui se réclamaient
de la Nouvelle Académie, lesquels raillèrent la
pratique consistant à réduire ies dieux à
des réalités matérielles communes et triviales
ou à de simples êtres humains, Ils y dénoncèrent
par ailleurs la tendance à faire des poètes anciens
soit des historiens, soit des philosophes qui s'ignoraient.
Mais, à
partir du ler siècle av. J. -C., un courant
exégétique nouveau se développa qui allait
répondre à cette objection en assimilant mythes
et mystères, selon l'argumentation suivante: les mythes
et les mystères sont deux moyens complémentaires
utilisés par la divinité pour révéler
la véracité aux âmes religieuses. Les mythes
apportent cette révélation enveloppée dans
des écrits légendaires, alors que les mystères
la présentent sous forme de tableaux vivants. Dans ce
contexte, les mythes se retrouvent dans les religions, la philosophie
et la poésie, mais il faut être un inité
pour savoir les interpréter. Avec l'emploi d'un discours
codé, à double sens, qui s'inscrit dans la mouvance
du secret, où tout est exprimé par énigmes,
par symboles, comme dans les mystères, le poète-philosophe-théologien
transmet avec prudence une vérité et devient une
sorte de génie littéraire. En effet, à
notre époque, on décortique encore les mythes
pour en tirer leur substantifique moelle.
- on peut y voir l'expression d'une "pensée sauvage", une affabulation
naïve, fondée sur une forme de pensée allégorique (laquelle
se distingue de la pensée symbolique par l'absence de toute
signification à valeur psychologique - P. Diel), ou simplement
confuse et embryonnaire.
- on peut y voir l'expression d'une pensée "à l'état sauvage",
prélogique ou "autrement logique", rationnelle, abstraite et
fondée sur l'intuition, l'analogie, et s'exprimant par le symbole.
Dans les deux cas, on ne saurait pour autant considérer le mythe
comme le signe d'une prétendue insuffisance intellectuelle des
"primitifs" (cf. à l'opposé l'efficacité technique dans l'adaptation
au milieu)
- les fonctionnalistes font du mythe l'élément d'un ensemble
global et cohérent, défini par les préoccupations matérielles,
mettant en rapport l'homme et la nature, ou doublant l'organisation
sociale qu'il soutient.
- les structuralistes (C. Lévi-Strauss) considèrent que les
mythes sont déterminés les uns par les autres et trouvent en
eux-mêmes leur vérité, bien davantage que par leur contexte;
l'interprétation du mythe suppose alors une "mytho-logique"
(ex.: division en mythèmes = unités constitutives du mythe,
éléments mythiques).
Les postulats sur lesquels Cl. Lévi-Strauss (op. cit., p.232)
fonde l'analyse structurale des mythes sont les suivants:
1) "si les mythes ont un sens, celui-ci ne peut tenir aux éléments
qui entrent dans leur composition, mais à la manière dont ces
éléments se trouvent combinés;
2) le mythe relève de l'ordre du langage, il en fait partie
intégrante; néanmoins, le langage, tel qu'il est utilisé dans
le mythe, manifeste des propriétés spécifiques;
3) ces propriétés ne peuvent être cherchées qu'au-dessus du
niveau habituel de l'expression linguistique; autrement dit,
elles sont de nature plus complexe que celles qu'on rencontre
dans une expression linguistique de type quelconque."
- l'interprétation psychologique met l'accent sur le postulat
de symbolisation mythique = calcul psychologique, exprimé sous
une forme imagée, compromis effectué entre les désirs d'une
part, les complexes et les sentiments d'angoisse et de culpabilité
des individus d'autre part.
3. Conclusions possibles
- le mythe apparaît comme un récit signifiant autre chose que
lui-même.
- il concerne tous les aspects de l'existence et de la pensée
humaines, avec lesquels il peut être mis en rapport ; on pourra
alors l'envisager sous l'aspect d'un conditionnement de la pensée
(par sa fonction religieuse), ou d'une aide à la vie.
- toute pensée, toute culture, toute époque, a ses mythes ;
le mythe exprimerait plus fondamentalement un besoin de sacralisation
de l'Autre, qui ne serait pas propre aux sociétés traditionnelles.
- Le Mythe du progrès... faut-il y croire ? quel progrès
désigne-t-on ?
Note. La question du mythe constitue l'un des problèmes
les plus complexes de l'anthropologie, en raison de ce "chaos
théorique" qui persiste ici : “Pour comprendre ce qu'est
un mythe, n'avons-nous donc le choix qu'entre la platitude et
le sophisme ? Certains prétendent que chaque société exprime,
dans ses mythes, des sentiments fondamentaux tels que l'amour,
la haine ou la vengeance, qui sont communs à l'humanité tout entière.
Pour d'autres, les mythes constituent des tentatives d'explication
de phénomènes difficilement compréhensibles : astronomiques, météorologiques,
etc. Quelle que soit la situation réelle, une dialectique qui
gagne à tous les coups trouvera le moyen d'atteindre à la signification."
(Cl. Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, Plon, p.228)
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