Gilets jaunes : la colère
Le mouvement des gilets jaunes a contraint le chef de l’État
à initier un «grand débat»
Cette concession avait vocation à recueillir fidèlement
la parole des Françaises et des Français qui sont aux
prises avec un modèle dit « de développement »
dont les conséquences sont la prédation sur les ressources
naturelles et la destruction de notre environnement, la vie chère,
la fragilisation du modèle de protection sociale et des solidarités,
l’explosion des inégalités, le délitement
de notre démocratie.
Le mouvement des gilets jaunes était l'occasion de remettre
en question les injustices que de nombreuses et nombreux citoyen·ne·s
subissent, mais il a été perçu comme une
menace.
La grande erreur du gouvernement est de ne pas prendre au sérieux
ce mouvement qui n’est pas seulement l’expression
d’un ras-le-bol fiscal, mais la traduction d’une crise
de subsistance, au sens propre. La crise de civilisation à
laquelle l’humanité est confrontée et les
détresses qu’elle entraine devrait être considérée
avec lucidité si la volonté d’apporter des
solutions véritables est sincère.
Hélas, aucun signe du gouvernement ne le laisse penser.
Pour que ce « grand débat » puisse être utile,
trois conditions étaient indispensables:
– D’abord l’apaisement. La brutalisation des
débats dans la société est un symptôme
qu’il faut regarder en face et auquel il faut apporter des
réponses. La captation du grand débat par la parole
présidentielle et gouvernementale constitue une violence
symbolique vis-à-vis de celles et ceux qui expriment avec
force leur volonté d’être écouté·e·s
et d’être vu·e·s.
A cette violence symbolique s’ajoute une violence bien réelle
: celle d’armes dîtes « semi-létales »
(LBD, grenades de désencerclement) dont l’usage répété
et disproportionné ajoute au climat de brutalisation et de violence.
Il faut le redire : ces armes n’ont rien à faire dans l’arsenal
nécessaire au maintien de la paix civile dans une démocratie.
Elle doivent être interdites. Pour l’heure, leur usage doit
être suspendu. Les écologistes condamnent depuis toujours
et sans réserve la violence, d’où qu’elle
vienne, comme mode d’action politique. C’est au nom de ce
principe qu’il appartient à l’État d’être
exemplaire en prenant l’initiative de la désescalade des
violences.
– La seconde condition qui a été « habilement
» contournée par votre Gouvernement, était la garantie
que ce débat soit mené par une institution indépendante
afin de permettre une prise en compte fidèle et sincère
de l’expression des Françaises et des Français.
La mise à l’écart de la Commission nationale du
débat public qui dispose de cette indépendance, des compétences
et de l’expérience pour mener cette mission constitue un
coup de force de la part du chef de l’État et de votre
Gouvernement.
C’est ainsi que ce grand débat a été finalement
« cadré » par le président de la République
dans sa lettre aux français. Plus grave, dans cette lettre, le
Président a indiqué que c’est lui qui assurerait
le rendu des travaux. En clair, le Président pose les questions,
y répond, et fait le compte-rendu. Pourtant, dans ce grand débat,
le rôle du chef de l’État n’était pas
qu’il parle, mais qu’il écoute.
– Enfin, pour que ce « grand débat »
ait du sens, il aurait fallu que le chef de l’État
et son Gouvernement soient sincèrement ouverts à
changer de cap politique en fonction de l’expression des
Françaises et des Français. Là encore, les
déclarations successives des représentant·e·s
de la majorité montrent qu’il n’en est rien.
Plus grave encore, les questions posées sur le site mis
à disposition des citoyen·ne·s pour participer
au débat escamotent le champs des réponses possibles.
Je me permets d’ajouter, Monsieur le Premier ministre, qu’en
tournant le dos aux aspirations démocratiques légitimes
d’une partie importante de nos compatriotes, vous contribuez à
fissurer encore d’avantage la confiance déjà fragile
qui subsiste entre les représentant·e·s politiques
et leurs mandant·e·s. Au fond, cette cécité
et cet entêtement constituent sans doute votre faute la plus grave
car ses conséquences, si elles adviennent, sont sans retour.
Extrait
de la lettre de David Cormand* au premier ministre
* Secrétaire national d’Europe Écologie –
Les Verts
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