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Les affameurs de l'Angola

L'Angola, ancienne colonie portugaise, est devenu, malgré la longue guerre entre mouvements armés, le deuxième producteur de pétrole africain. Officiellement, les royalties, taxes, impôts et autres revenus pétroliers rapportent bon an mal an entre 3 et 5 milliards de dollars, soit près des neuf dixième des revenus de l'État. Mais on se demande où va l'argent du pétrole dans ce pays pillé par les multinationales quand la famine atteind 1,4 million d'Angolais - soit 11% de la population - et quand ce pays demande une aide alimentaire d'urgence ?

Witness, une ONG qui traque les détournements tirés des ressources naturelles (surtout pétrole et diamant), a jeté un énorme pavé dans la mare en révélant qu'entre le quart et le tiers des revenus pétroliers de 2001 - autour de 1,4 milliard de dollars - n'a jamais abouti dans les caisses de l'État.
AngolaSouvent via des achats militaires, une bonne partie a fini dans les poches de la nomenklatura locale. A ce degré aussi élevé que celui observé chez les grands prédateurs africains, comme autrefois Mobutu dans le Zaïre voisin, la corruption est, au moins autant que la guerre, à l'origine de l'actuelle famine et, plus largement, de l'intensification de la misère populaire - car les deux tiers des Angolais vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Et on peut dire qu'au Nigeria c'est pareil.

Rappelons que, dans cette guerre civile qui a fait près d'un million de morts en 30 ans, le Mouvement Populaire de Libération de l'Angola (MPLA) a gagné sur toute la ligne, probablement au-delà de ses espérances. Traqué depuis décembre 2001, le chef de l'Unita, Jonas Savimbi a été tué le 22 février 2002, dans la région même où il avait lancé sa guérilla trente-six ans plus tôt, cet extrême-est angolais désertique, dépeuplé, que les colons portugais appelaient «les terres du bout du monde». Six semaines plus tard, un cessez-le-feu est conclu avec les chefs militaires rebelles sur le terrain. Il s'agit en fait d'une capitulation militaire et politique. Le MPLA ne négociera quoi que ce soit avec qui que ce soit. Il n'ouvrira même pas le débat pour mettre enfin au jour les racines et les ressorts d'une guerre plus que trentenaire, «endogène» puisque née des conflits entre mouvements indépendantistes. Il impose de tourner la page sans autre forme de procès. Rien ne change, hormis que son pouvoir devient hégémonique sur l'ensemble du pays. Il a les coudées plus franches que jamais pour poursuivre son objectif immuable, celui qu'il a poursuivi par la guerre et grâce à la guerre : continuer ses affaires comme si de rien n'était. Mieux : les étendre... Elles sont particulièrement juteuses.

La corruption est, au moins autant que la guerre, à l'origine de l'actuelle famine, en Angola. Mais qui sont les corrupteurs ?

Comme un peu partout, le pays a été pillé grâce la corruption. En fait, les travaux récents d'un historien de l'Université John Hopkins, Piero Gleijeses, qui a pu fouiller des archives jusque-là secrètes, notamment à Washington (note), révèlent des responsabilités plus lointaines mais cruciales dans le drame angolais.
Le 27 juin 1975, le Président Gérald Ford réunit notamment autour de lui le secrétaire d'État Henry Kissinger, le secrétaire à la Défense James Schlesinger, et le patron de la CIA William Colby. Un an plus tôt, le 25 avril 1974, le renversement de la dictature portugaise avait lancé la décolonisation de l'empire lusophone. Objet de la réunion - que faire en Angola où, sans intervention extérieure, les Américains tiennent pour acquis que, des trois mouvements nationalistes qui se disputent le pouvoir, ce sera le MPLA, allié de l'URSS, qui gagnera. Décision prise : l'en empêcher en lançant une opération secrète en coopération avec le Zaïre de Mobutu - coopération qui sera étendue quelques semaines, plus tard à l'Afrique du Sud de l'apartheid. Aller, si besoin « désintégrer » l'Angola, dixit Schlesinger, notamment pour sécuriser l'exploitation du pétrole angolais dont les États-Unis sont - point essentiel - à ne sont mentionnés lors de la réunion, ni même évoqués. Et pour cause : Piero Gleijeses démontre que Castro ne décidera l'envoi d'un contingent militaire en Angola que quatre mois plus tard (le 4 novembre 1975), en réaction à l'invasion de l'Angola depuis ses frontières nord et sud pour écarter le MPLA du pouvoir. Ce qui était jusque-là l'histoire officielle s'effondre: l'internationalisation du conflit angolais est une initiative américaine et non cubano-russe. Car, en outre, Moscou n'aidera l'intervention cubaine que du bout des doigts, et pas avant janvier 1976. De cette réunion date enfin le début du soutien américain à Jonas Savimbi. Promu au panthéon des « combattants de la liberté », contre toute évidence mais grâce à une habile propagande, il recevra une aide massive, que seule l'aide américaine aux moudjahidine afghans dépassera.
Commentant les travaux de Gleijeses, Robert Huitslander, chef de l'antenne de la CIA en Angola d'août à novembre 1975, déclarait :
« C'est notre politique qui a provoqué la déstabilisation de l'Angola » et cela uniquement parce que « Kissinger était décidé à défier l'union soviétique ». Ce défi a transformé en un affrontement Est-Ouest majeur, interminable, donc en hécatombe, ce qui aurait pu ne rester qu'une guerre civile locale, une « guerre des pauvres » aux moyens dérisoires et aux effets limités. Ce défi a eu un coût - un million de morts, auxquels s'ajoutent la famine. Mais il n'a pas eu que des perdants : promu au rang de « partenaire stratégique» des États-Unis, l'Angola, où ce MPLA qu'ils avaient voulu éliminer est plus fort que jamais, leur fournit environ 15 % de leur pétrole importé.
L'histoire, sur fond de guerre civile sanglante en Angola, mêle des marchands d'armes menant grand train, des hommes politiques de premier plan, des second rôles célèbres habitués des plateaux de télévision ou des coulisses du pouvoir et une kyrielle de protagonistes empochant des centaines de milliers dollars sans se préoccuper du commerce qui les enrichissait.

Mais l'affaire dite de l'Angolagate est aussi le témoignage d'une certaine politique de la France en Afrique, au milieu des années 1990, où derrière la ligne officielle, des réseaux oeuvraient sans vergogne en fonction de leurs intérêts politiques et/ou financiers.

L'histoire remonte au milieu des années 1990. A l'époque, la guerre civile fait rage en Angola et l'ONU prône une résolution pacifique du conflit avec un embargo sur les armes à destination de l'Unita. Mais les responsables politiques français ne se conforment pas aux résolutions internationales. Interrogé par le juge Courroye, Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères du gouvernement Balladur entre 1993 et 1995, puis Premier ministre de Jacques Chirac (1995-1997) déclare : « Il y avait dans le paysage politique français des gens qui soutenaient plutôt un camp que l'autre, mais la ligne officielle du gouvernement était de rechercher une solution pacifique. Il ne s'agissait pas d'armer un camp plutôt que l'autre. » Egalement entendu comme témoin, Edouard Balladur est clair: « Dans ce contexte, des ventes d'armes vis-à-vis de l'Angola étaient exclues ». Et pourtant, des personnalités françaises vont jouer un rôle déterminant dans l'acheminement de matériel militaire au pouvoir angolais. L'enquête du juge Philippe Courroye a établi deux niveaux de responsabilités dans la vente d'armes. D'abord celui de Jean-Christophe Mitterrand. Ensuite Charles Pasqua et ses amis. (Selon Marianne)

PasquaC'est donc une affaire de ventes d'armes pour un montant de 790 millions de dollars, entre 1993 et 1999, que le tribunal va devoir juger. Un business qui n'a pu se faire qu'avec le soutien actif d'un ministre et de ses amis, mais qui a également bénéficié de certains rouages de l'Etat. Des armes qui ont également enrichi au passage des amis bien connus des marchands… Le trafic d'armes organisé par Pierre Falcone et Arcadi Gaydamak n'a pu se faire sans le vaste réseau d'influence. Des amitiés bien rémunérées mêlant politique, affairisme ou show business et impliquant des personnalités en vue de la vie parisienne : de Paul-Loup Sulitzer à Jacques Attali, en passant par Charles Pasqua et Jean-Christophe Mitterrand, Georges Fenech et Jean-Noël Tassez. L'insipide Charles Pasqua risque la prison, mais avec l'immunité parlementaire il est tranquille, et puis c'est le copain de Sarkozy dans les affaires. Et voilà comment fonctionne la "Justice" en France ! (Mediapart a dit comment les dossiers Pasqua ont été enterrés).
L'enquête du juge Courroye, que le tribunal correctionnel de Paris examine à partir de lundi 6 octobre 2008, a distingué plusieurs types de réseaux mafieux et occultes. Au bout d'un an, le verdict tombe : L'ancien ministre de l'Intérieur, condamné pour trafic d'influence, écope d'un an de prison ferme là où le parquet avait uniquement requis une peine de trois ans avec sursis.

Pierre Pasqua, fils unique de l’ancien ministre de l’Intérieur Charles Pasqua et l’homme d’affaires Pierre Falcone ont été condamnés vendredi 29 mai 2009 en appel à un an de prison ferme pour des détournements de fonds dans les années 90 au détriment de la Sofremi, société vendant du matériel de sécurité à l’étranger. Ni l’un ni l’autre n’était présent à l’audience de la cour d’appel de Paris pour entendre l’énoncé de la peine, à laquelle s’ajoute un an de prison avec sursis. Pour l’accusation, la Sofremi a versé indûment des commissions d’un total de quelque 36 millions de francs (5,4 millions d’euros) lors de quatre marchés, au Koweït, en Colombie, en Argentine et au Brésil. L’argent, versé en échange de l’obtention de ces contrats, transitait principalement par Pierre Falcone ou Etienne Leandri, un proche de Charles Pasqua décédé en 1995, via des sociétés écrans dans des paradis fiscaux. Parmi les bénéficiaires figurait son fils Pierre Pasqua qui aurait touché 1,5 million d’euros. Inculpé dans trois affaires de corruption, Charles Pasqua s'en sort avec un an de prison avec sursis, et quitte librement l'audience du tribunal le 30 avril 2010. Il fait appel. Il mourra sans avoir été condamné.(2)

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Note (1) RENÉ DAMIEN «Conflicting Missions, Havana, Washington and Affrica, 1959-1976», The University of North Carolina Press. 18/07/2002. Vous pouvez penser que tout cela est incroyable, mais ces informations ont été publiées dans le Nouvel Observateur en Juillet 2002. Retour au text

Note (2). Un an plus tard, le 2 mars 2011, on apprend qu'il est finalement relaxé, amnistié par le Parquet, aux ordres de qui vous savez. (Libération)